Coucou, la voisine ! Que regardes-tu avec cette insistance ? Est-ce le chat Friquet qui n’a pas peur de toi ? Son œil unique ne te voit peut-être pas aussi grosse que tu es ! Est-ce le chien Horus qui a fait amitié avec toi malgré les craintes que tu lui inspirais quand tu t’es installée dans le champ avec tes sœurs ?
Tu t’ennuies ? Je crois que tu t’ennuies et cherches à te distraire. Tu t’amuses du lézard qui se cache dans le lierre de la muraille. Tu le taquines avec ton gros nez. Tu dresses l’oreille sous le ronflement des vents de janvier et va gratter ton dos à l’arbre en sentinelle au bord de la haie.
Prends patience, la voisine, même si l’hiver est froid et immobile avec un ciel d’une seule nuée, ni gris ni bleu. La campagne, débarrassée de ses herbages et de ses feuilles mortes, semble s’enfoncer dans le sommeil. De l’aube où la terre sonne sous les talons aux nuits glacées crépitantes d’étoiles et percées du cri des hiboux.
Prends patience, les jours rallongent. Lentement mais ils rallongent. Au-dessus des bois, les corbeaux le sentent et croassent avant de se jeter dans les pâtis. La belette et le lièvre filent pour se cacher derrière les échines de pierre du sentier.
Tu as bonne fourrure sur le dos, ma jolie vache. Te protège-t-elle bien du froid ? Tu allonges le cou comme pour me répondre. Tu espères compagnie, je l’ai bien compris, mais je ne peux m’attarder. J’ai promis visite à un ami âgé qui compte les jours jusqu’au printemps. Il m’attend près du feu de cheminée avec son chat endormi sur les genoux. « Il me prend mes rhumatismes », me dit-il avec sa figure mince et ses yeux de souris. Je veux bien le croire.
Bon courage, la voisine. Regarde, le soleil remonte en sa force. Peut-être éviterons-nous la neige avec sa bruine de cristaux ? Il faut se méfier d’elle car après les jours doux, elle peut surgir par le nord du pays.
A tout à l’heure, ma jolie, je viendrai te saluer avant la nuit et te glisser une caresse entre les oreilles.
D. Chevalier
Le 1erjanvier 2019
Villejaleix